Cet article d’opinion du Dr Ibrahima Socé Fall, directeur des urgences sanitaires de la région africaine pour l’OMS, est paru pour la première fois dans « Le Monde ».
Dr Ibrahima Socé Fall est directeur des urgences sanitaires en Afrique pour l’Organisation mondiale de la santé.
Gabriel Mabikina vit depuis plus de 70 ans à Pointe-Noire dans la République du Congo. Il connait sa région par coeur, est chef de sa communauté et ce qu’il observe depuis quelques années l’inquiète beaucoup: une présence accrue d’insectes dangereux, notamment les moustiques porteurs de maladies infectieuses dévastatrices. De manière instinctive, Il attribue la pullulation de ces insectes à des modifications des rythmes saisonniers et des changements dans l’équilibre de l’éco-système.
Il n’a pas tort. Sa perception purement empirique de son environnement est corroborée par des données scientifiques relevées au cours de ces dix dernières années. D’après une collecte d’information réalisée en 2016 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et basée sur diverses études et enquêtes dans la région, on observe une recrudescence du vecteur Aedes egypti dans toute l’Afrique y compris certains pays de l’Afrique du Nord. Ce type de moustique est vecteur de maladies comme la fièvre jaune, la Dengue, la fièvre à virus Zika, ou encore la maladie à virus Chikungunya. Les risques d’épidémie majeure par la transmission de la maladie sont réels et constituent une véritable menace pour le continent et la santé de ses habitants. Les faits sont là pour le prouver: des épidémies de fièvre jaune ont été relevées en Erythrée en 2005, à Madagascar en 2006, au Mali et en Côte d’Ivoire en 2008, en Angola en 2015 et 2016 en République Démocratique du Congo en 2016 et au Nigéria en 2017 et 2018. De même, la présence du virus Zika a été confirmée plusieurs fois dans des pays africains. A cela s’ajoute le fait que d’autres insectes vecteurs qui dans le passé n’existaient pas en Afrique, comme le Aedes albopictus plus communément connu sous le nom de moustique-tigre et porteur du même type de maladies, ont fait leur apparition dans certaines régions. Les Moustique Aedes sont d’autant plus nocifs qu’ils n’ont pas besoin de grandes réserves d’eau pour se reproduire et qu’ils prennent leur repas sanguin (et donc ils piquent) dans la journée et l’après-midi quand la population est la plus exposée.
Répartition des moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus en Afrique (Source: Institut Pasteur de Dakar)
Cette recrudescence d’insectes vecteurs de maladies infectieuses est attribuée en partie à l’augmentation des échanges et du tourisme internationaux mais surtout au changement climatique. D’après certaines études réalisées à l’échelle globale, le changement climatique aurait pour effet d’accroitre les zones où le climat est plus propice à la multiplication de ces insectes et des épidémies qui leur sont associées. Le rapport 1.5 sur le climat et la santé, publié en octobre par l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) l’annonce clairement : « les preuves sont de plus en plus irréfutables que les variations météorologiques associées au changement climatique modifient l’étendue géographique, les saisonnalités ainsi que l’intensité de la transmission des maladies infectieuses ». En d’autres termes, les vecteurs Aedes pourraient se répandre bien au-delà de leur zone actuelle d’ici à 2030, de même que le moustique Anophèle, vecteur du paludisme pourrait changer de zone géographique en fonction du réchauffement climatique. Une poussée de cette maladie, la plus fatale pour l’Afrique, a d’ailleurs été notée récemment dans beaucoup de pays du continent. En 2017, il y avait 219 millions de cas de paludisme et 435 000 décès, avec la grosse majorité des cas et des décès se trouvant en Afrique. Dans le monde entier, 3,1 milliards de dollars US ont été investis dans la lutte contre le paludisme en 2017.
L’Afrique est particulièrement vulnérable à cause des mouvements continus de population et d’une urbanisation en pleine explosion mais précaire et sans planification suffisante. Notre continent, déjà gravement touché par les effets du changement climatique, risque de l’être encore davantage en termes d’impact sur la santé publique. Avec l’apparition à présent évidente de nouvelles épidémies dans des zones où l’accès aux services de santé est limité, les populations africaines risquent de faire les frais du manque d’action globale contre le changement climatique. Le Comité régional de l’OMS pour l’Afrique, l’organe directeur dans la région, et ses Etats-membres ont déjà adopté en 2016 une Stratégie régionale pour la sécurité sanitaire et les situations d’urgence. Cette dernière recommande aux Etats africains d’augmenter leur capacité à détecter voire à éviter une épidémie ou le cas échéant à la gérer au mieux. Contre la fièvre jaune, l’OMS et les Etats Membres organisent des campagnes de vaccination dans le cadre de la stratégie d’élimination des épidémies de cette maladie. Ce vaccin protège à vie. Des millions de personnes sont maintenant couvertes, mais il reste encore beaucoup à faire pour protéger l’ensemble des quelques 400 millions d’Africains(environ un quart de la population) exposés au risque d’attraper la fièvre jaune.
Sur ce sujet et dans le cadre de la sécurité sanitaire mondiale, l’Afrique a besoin de la participation de la communauté internationale. La 24ème conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 24) qui se réunit à Katowice en Pologne en décembre serait l’occasion de déclencher des actions communes pour limiter les effets du changement climatique et empêcher ces insectes vecteurs d’épidémies resurgentes de se répandre au-delà de leurs zones traditionnelles, à défaut de quoi le coût financier à porter risque d’être extrêmement lourd, sans parler du coût dramatique en vies humaines.
source : https://www.afro.who.int/fr
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