Le financement de la santé est l’un des défis majeurs auxquels font face les pays africains. Malgré des engagements continentaux et internationaux pour assurer l’accès universel aux soins, la majorité des systèmes de santé africains restent fragiles, chroniquement sous-financés et dépendants de l’aide extérieure.
Alors que les besoins explosent avec la croissance démographique, la transition épidémiologique (double fardeau des maladies infectieuses et chroniques), et les crises sanitaires (Ebola, Covid-19), de nouvelles stratégies de financement deviennent impératives.
Cet editorial propose une analyse de trois leviers essentiels pour un financement durable de la santé en Afrique : les taxes sanitaires, les partenariats public-privé (PPP), et les fonds africains de santé, en explorant leur potentiel, leurs limites et les conditions de leur réussite.
I. Les taxes sanitaires : fiscalité intelligente au service de la santé
Un double objectif : santé publique et recettes fiscales
Les taxes sanitaires ciblent des produits dont la consommation est associée à des risques élevés pour la santé : tabac, alcool, boissons sucrées, produits ultratransformés, carburants polluants.
L’objectif est double :
réduire les comportements à risque,
et mobiliser des ressources financières pouvant être affectées à la santé.
Des expériences encourageantes en Afrique
Afrique du Sud a introduit en 2018 une taxe sur les boissons sucrées, générant plus de 200 millions USD par an et contribuant à une baisse de la consommation de sucre.
Kenya, Ouganda, Nigéria et Botswana appliquent depuis plusieurs années des taxes sur le tabac et l’alcool, avec des effets mesurables sur la santé publique.
Le Togo a adopté une loi en 2021 pour taxer les produits nocifs afin de financer l’assurance maladie universelle.
Défis à surmonter:
Malgré leur potentiel, ces taxes se heurtent à plusieurs obstacles :
Lobbying des industries (sucre, tabac, alcool) qui freinent leur adoption.
Acceptabilité politique et sociale parfois faible.
Manque de traçabilité : les recettes fiscales ne sont pas toujours réinjectées dans la santé, faute d’affectation budgétaire claire.
II. Partenariats public-privé(PPP) : catalyseurs d’investissement mais vigilance requise
Un outil de mutualisation des ressources
Les PPP permettent de mobiliser les ressources, l’expertise et l’innovation du secteur privé pour répondre aux besoins de santé publique. Ils peuvent concerner la construction d’infrastructures, la gestion de services, ou le développement technologique (télémédecine, plateformes numériques, logistique).
Exemples africains
Maroc : construction d’hôpitaux régionaux via des PPP.
Côte d’Ivoire : partenariat avec un consortium privé pour moderniser les laboratoires biomédicaux.
Rwanda : collaboration avec Babylon Health pour déployer la télémédecine à grande échelle, via des centres de santé connectés.
Conditions de succès
Cependant, les PPP en santé comportent des risques s’ils ne sont pas bien encadrés :
Risque de marchandisation des soins, au détriment de l’équité.
Failles juridiques dans les contrats, qui peuvent désavantager les États.
Nécessité d’instances de régulation fortes pour protéger l’intérêt général.
III. Fonds africains : vers une souveraineté budgétaire en santé
Des initiatives panafricaines ambitieuses
Face à la dépendance chronique à l’aide internationale, des initiatives africaines émergent pour créer des mécanismes de financement endogènes :
Africa CDC a proposé un fonds panafricain contre les épidémies, en réponse aux limites révélées par la pandémie de Covid-19.
L’Union africaine discute de la mise en place d’un fonds continental pour la couverture santé universelle.
Des initiatives nationales comme le Fonds CMU du Sénégal ou le Health Benefit Package Fund du Ghana constituent des exemples à suivre.
Financement innovant et acteurs continentaux
La Banque africaine de développement (BAD) appuie des projets d’assurance santé, de financement communautaire et d’émission d’obligations santé.
Le Fonds africain de garantie soutient les investissements privés dans la santé à travers des garanties de prêt.
Défis structurels
La contribution nationale reste faible : en moyenne moins de 5 % des budgets nationaux sont alloués à la santé, bien en deçà de l’engagement d’Abuja (15 %).
Insuffisance de coordination entre les différents fonds et partenaires.
Manque de transparence et redevabilité sur l’utilisation des ressources.
IV. Repenser le financement de la santé en Afrique : recommandations clés
Pour assurer une couverture santé équitable et durable, l’Afrique doit :
Augmenter la part budgétaire dédiée à la santé, en respectant les engagements d’Abuja.
Institutionnaliser les taxes sanitaires et en garantir l’affectation à la santé.
Encadrer strictement les PPP pour qu’ils bénéficient aux populations les plus vulnérables.
Renforcer la fiscalité progressive, pour réduire les inégalités et élargir la base contributive.
Associer les citoyens et la société civile à la gouvernance des fonds.
Investir massivement dans la prévention : chaque dollar investi préventivement en évite plusieurs en soins curatifs.
Le financement de la santé en Afrique ne peut plus reposer sur des modèles dépassés ni sur l’aide extérieure volatile. Il doit s’ancrer dans des politiques fiscales responsables, des partenariats équilibrés et une volonté politique ferme de bâtir des systèmes de santé résilients, équitables et souverains.
L’urgence n’est pas seulement financière, elle est éthique et sociale : garantir à chaque Africain, où qu’il vive, un accès effectif aux soins de qualité.
Voici une sélection de références fiables et récentes pour enrichir votre article sur le financement de la santé en Afrique (taxes sanitaires, partenariats publicprivé, et fonds africains). Ces sources incluent des rapports institutionnels, des revues scientifiques et des articles d’actualité.
Dr F Abolore
Références
Africa CDC – Africa’s Health Financing in a New Era (avril 2025) : met en lumière la chute de 70 % de l’aide extérieure entre 2021 et 2025, l’engagement d’Abuja (15 % du budget national), et les seuls pays respectant cet engagement (Rwanda, Botswana, Cabo Verde) (Africa CDC).
Africa CDC – Africa’s Plan to Fill Health Funding Gaps Amidst Declining Coffers : souligne la nécessité de mobiliser des ressources internes pour maintenir les gains en santé publique (Africa CDC).
Étude Lancet Planet Health (2021) sur l’effet de la taxe sur les boissons sucrées en Afrique du Sud : baisse de 29 % des achats et réduction de 51 % des calories consommées dans certaines populations (NCBI).
Rapport Reuters / WHO “3 by 35” (juillet 2025) : recommandation d’augmenter les taxes sur sucre, alcool et tabac de 50 % d’ici 2035 pour générer jusqu’à 1 000 Md USD et réduire les maladies non transmissibles (Reuters).
Article de The Guardian (janvier 2025) : boissons sucrées responsables de 21 % des nouveaux cas de diabète en Afrique subsaharienne ; plaidoyer pour des taxes renforcées (The Guardian).
Revue scoping review sur le financement innovant en Afrique : les PPP ont été utilisés pour les infrastructures, laboratoires, formation ; mais les résultats sont mitigés en termes d’équité et durabilité, en raison de lacunes réglementaires (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
Analyse critique dans Review of Evolutionary Political Economy (2024) : le rôle de la Banque mondiale et l’impact de la financiarisation via les PPP, avec risques pour l’équité sanitaire (link.springer.com).
Blog World Bank (mars 2024) sur l’intérêt des PPP pour accélérer la couverture sanitaire universelle en Afrique subsaharienne, avec cas concrets (Éthiopie, Togo, Cabo Verde) (blogs.worldbank.org).
Africa CDC (déc. 2024) : décrit le modèle rwandais d’assurance communautaire (mutuelles de santé), la couverture supérieure à 90 %, l’intégration des agents communautaires et leur rémunération via coopératives génératrices de revenus locaux (Africa CDC).
Wikipedia / Healthcare in Rwanda : assurance maladie obligatoire instaurée en 2008, 90 % de couverture dès 2010, financement mixte (primes, État, donateurs), dépenses représentant environ 6,5 % du PIB en 2013 (en.wikipedia.org).
WHO feature story (mai 2022) : cadre national de financement durable du système de santé du Ghana, renforcement de la couverture primaire et planification des investissements en santé via SDG3 GAP et le Plan de développement sanitaire à moyen terme (who.int).
Wikipedia / Healthcare in Ghana : description du NHIS lancé en 2003, couverture estimée à 36 % en 2018 et 51 % en 2021, défis liés à la collecte auprès du secteur informel et aux paiements d’indemnités (en.wikipedia.org)
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