Les fièvres hémorragiques virales (FHV) comme Ebola, Marburg ou la fièvre de Lassa représentent des menaces majeures pour la santé publique en Afrique de l’Ouest et Centrale. Issues de zoonoses — maladies transmissibles de l’animal à l’homme —, elles illustrent de façon tragique l’interconnexion entre santé humaine, animale et environnementale, au cœur du concept « One Health ».
À ces pathologies déjà redoutables s’ajoute aujourd’hui une variable aggravante : le changement climatique. En modifiant les écosystèmes, les migrations animales, et les dynamiques sociales, il accroît le risque d’émergence, d’expansion et de résurgence de ces maladies. Ce contexte impose une approche intégrée et préventive, encore trop peu appliquée dans les politiques sanitaires africaines.
I. Fièvres hémorragiques virales : des zoonoses à fort potentiel épidémique
Ebola : un virus meurtrier au potentiel explosif
Le virus Ebola, découvert en 1976, a déclenché plusieurs flambées, dont la plus grave (2013–2016) a fait plus de 11 000 morts en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Transmis à l’humain via la faune sauvage (notamment les chauves-souris frugivores), Ebola se propage ensuite par contact direct avec les fluides biologiques.
Facteurs aggravants :
Manque de systèmes de surveillance,
Funérailles traditionnelles à haut risque,
Faible infrastructure sanitaire en zones rurales.
Fièvre de Lassa : la menace silencieuse d’Afrique de l’Ouest
Endémique au Nigeria, au Bénin, au Togo, en Sierra Leone et au Liberia, la fièvre de Lassa est transmise par des rongeurs (Mastomys natalensis). Contrairement à Ebola, elle est souvent asymptomatique ou bénigne, mais peut être mortelle chez les femmes enceintes.
Les flambées sont récurrentes, comme celle observée au Nigeria début 2024 avec plus de 700 cas confirmés. Le diagnostic reste difficile, car les symptômes imitent le paludisme ou la typhoïde.
Autres fièvres hémorragiques préoccupantes
Marburg : proche d’Ebola, signalé récemment en Tanzanie, Guinée équatoriale et Ghana.
Crimée-Congo : transmise par les tiques, présente en Afrique de l’Est et australe.
Rift Valley Fever : maladie virale touchant hommes et animaux, favorisée par les inondations.
II. L’impact du changement climatique : un catalyseur invisible
Modification des habitats des réservoirs animaux
Le réchauffement climatique bouleverse les écosystèmes :
-Déforestation et sécheresse poussent les chauves-souris et rongeurs vers les zones habitées.
-Inondations et températures plus élevées favorisent la reproduction de vecteurs (moustiques, tiques).
-Le stress écologique accentue les interactions entre humains, faune et bétail.
Résultat : une augmentation du risque de « spillover », c’est-à-dire de transmission inter-espèces des agents pathogènes.
Urbanisation rapide et mobilité accrue
Les mouvements de population, les chantiers d’infrastructure, et l’étalement urbain incontrôlé rapprochent les humains des zones forestières à haute biodiversité — véritables réservoirs viraux. Les infrastructures de santé ne suivent pas.
Exemple : l’épidémie d’Ebola en Guinée (2021) serait liée à un enfant ayant joué près d’une colonie de chauves-souris déplacée par la déforestation.
Vulnérabilité des systèmes de santé africains
Le changement climatique renforce la précarité sanitaire :
Multiplication des épidémies simultanées (choléra, paludisme, fièvres hémorragiques),
Difficultés logistiques d’accès aux zones touchées,
Pénurie de personnel de santé formé à la gestion des maladies émergentes.
III. Réponses à renforcer : vers une approche One Health
Surveillance intégrée et détection précoce
-Mettre en place des systèmes de veille épidémiologique intégrée, reliant santé humaine, animale et environnementale.
-Utiliser les technologies mobiles (mHealth) pour signaler les cas précocement.
-Renforcer les capacités des laboratoires nationaux et régionaux pour des diagnostics rapides.
-Préparation communautaire et changement de comportements
-Sensibilisation des populations sur les risques liés à la faune sauvage.
-Formation des leaders communautaires pour diffuser des messages adaptés (éviter la manipulation des animaux morts, sécuriser les funérailles).
-Intégration des pratiques locales dans les stratégies sanitaires, pour améliorer l’adhésion.
Coopération régionale et recherche
-Renforcement des agences africaines (Africa CDC, réseaux de laboratoires).
-Développement de vaccins adaptés au contexte africain (ex. : vaccin rVSV-ZEBOV contre Ebola).
-Financement de la recherche sur les facteurs climatiques et écologiques d’émergence.
IV. Recommandations pour les décideurs africains
-Institutionnaliser le cadre « One Health » dans les politiques nationales.
-Investir dans la prévention autant que dans la réponse : surveillance, éducation, hygiène.
-Inclure les risques épidémiques dans les plans nationaux d’adaptation au climat.
-Renforcer les chaînes d’approvisionnement médicales en période de crise.
-Créer un fonds africain dédié aux zoonoses et aux maladies émergentes.
Les fièvres hémorragiques comme Ebola ou Lassa ne sont pas de simples catastrophes naturelles. Elles sont le symptôme d’un déséquilibre profond entre l’homme, la nature et la société. À l’ère du changement climatique, l’Afrique n’a plus le choix : elle doit anticiper plutôt que subir.
C’est en misant sur la prévention, la coopération et la science qu’elle pourra éviter les prochaines épidémies… ou les contenir avant qu’elles ne deviennent des pandémies.
Dr F Abolore
Références
Carlson, C. J., Albery, G. F., Merow, C., et al. (2022). Climate change increases cross-species viral transmission risk. Nature Climate Change, 12(5), 427–435.
World Health Organization (WHO). (2023). Ebola Virus Disease – Democratic Republic of the Congo. www.who.int
Nigeria Centre for Disease Control (NCDC). (2024). Lassa Fever Situation Report. www.ncdc.gov.ng
Africa CDC. (2023). One Health Strategic Framework 2022–2026.
UNICEF & WHO. (2022). Preventing the Next Pandemic: Zoonotic diseases and how to break the chain of transmission.
OIE–FAO–WHO. (2021). Tripartite Guide to Addressing Zoonotic Diseases in Countries.
Bausch, D. G., & Schwarz, L. (2014). Outbreak of Ebola virus disease in Guinea: Where ecology meets economy. PLOS Neglected Tropical Diseases, 8(7), e3056.
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